« Pour moi, la bonne image c’est celle qui s’accorde à un projet, à un long travail de prospection, d’aller-retour vers ces lieux, ces visages, ces villes qui hantent le photographe. Une adéquation entre la vie, l’œuvre et l’auteur. L’image n’est jamais isolée et d’ailleurs, peu importe qu’elle soit bonne ou pas, l’enjeu n’est pas vraiment là. Ce qui compte, ce n’est pas l’icône, encore moins ces images qui se font par milliards (avec un simple téléphone, un appareil numérique ou que sais-je encore) chaque année, mais bien plutôt quelque chose qui participe d’un travail singulier, d’une vision singulière, d’une intériorité, d’une recherche, d’une obsession, de la quête de toute une vie. En parler plus longuement ne serait que littérature, comme aurait dit Nabokov… » Didier Ben Loulou, Avril 2013
Didier Ben Loulou est un photographe franco-israélien né à Paris en 1958. Il vit actuellement à Jérusalem.
Il suit des études d'histoire de l'art et s'initie à la photographie. En 1979, il commence à donner ses premières diapositives à l'atelier Fresson avec lequel il continue de collaborer.
De 1981 à 1989 il séjourne pour la première fois à Tel-Aviv. Il y tient une sorte de répertoire photographique de l'espace urbain et maritime. Il fait alors la découverte d'un lieu, tout proche de la grande ville, moins fréquenté, plus mystérieux, à l’étrange et séduisante configuration : Jaffa et le quartier en ruine d'Adjami. Il attendra plus de vingt ans avant de lui consacrer un livre, dévoilant de la sorte un versant occulté de la mémoire d’Israël. Jaffa, la passe (Filigrane Éditions) paraît donc en 2006, accompagné d’un récit de Caroline Fourgeaud-Laville.
En 1993, il décide de s'établir à Jérusalem, devenue, depuis lors, le point d'ancrage de son œuvre. Les méandres de la vieille ville, la violence, la diversité des origines et la pluralité des appartenances de ses habitants constituent son territoire d'exploration. Déambulant au sein de cette complexité humaine, faisant preuve d’une intense curiosité, d’une sensibilité vigilante et lucide, il trace le portrait changeant d'une cité aux multiples frontières. La somme de cette quête, Jérusalem , réunissant plus de quinze ans d’images, sera éditée (Éditions du Panama) en 2008.
Son chemin croise celui d'Emmanuel Levinas à l'occasion de deux publications : la première, en 1996, lorsque Bruno Roy lui propose d'accompagner photographiquement le très beau texte du philosophe, Violence du visage , pour les Éditions Fata Morgana ; en 2004, avec Sincérité du visage dont le texte est signé de Catherine Chalier, grande exégète du penseur de l'altérité. Cet ouvrage, bien qu'inscrit dans la lignée levinassienne, ouvre cependant de nouvelles perspectives quant à l'interprétation des visages ; ambiguës, les images de Didier Ben Loulou révèlent la corruption des regards et celle, non moins évidente, de principes établis, qui voudraient enfermer le bien et le mal dans des définitions manichéennes.
Au lendemain de la deuxième Intifada, laissant loin derrière lui le tumulte de la guerre, Didier Ben Loulou entame un nouveau travail photographique en arpentant de vieux cimetières juifs des environs de Jérusalem et de Galilée. Sur ces collines arides, des stèles oubliées, des fragments de textes ou des livres abandonnés sont autant d’indices à déchiffrer, autant de signes invitant à réfléchir sur toute vie appelée à disparaître. Cette mémoire des lettres – multiséculaire – a nourri l’imaginaire de l’artiste. Ici, la lettre hébraïque entretient depuis la nuit des temps une relation silencieuse avec le désert de Judée. Là où vécurent les prophètes de la Bible, Didier Ben Loulou a réalisé un ensemble de photographies magistrales ; empreintes de poésie et de patience, elles tentent de nous donner à voir l’invisible : Mémoire des lettres , textes de Catherine Chalier et Betty Rojtman (Éditions de La Table Ronde, 2012).
Entre 2006 et 2009, il séjourne à Athènes ; en parcourant ce haut lieu de civilisation, il entrevoit certes les restes de l'ancienne Attique, mais il la confronte à la modernité. Il fait de la pollution, de la destruction et de l’immigration de masse les véritables enjeux d’une mise en perspective qui part des ruines antiques pour rejoindre ces nouveaux territoires sur lesquels vivent et travaillent des populations d’immigrés et des gens du voyage : rencontre du tiers-monde avec celle du quart-monde à la périphérie de la capitale. Didier Ben Loulou a mené à Athènes une sorte d'enquête, à caractère social, explorant la « marchandisation » des êtres et des corps, l'exil, l'errance et la pauvreté. Un livre sera édité en 2013 dans lequel seront insérés des poèmes de Yorgos Markopoulos. Comme à Jaffa (1983-1989), à Jérusalem (1991-2006), le photographe n'a de cesse de questionner les mythes fondateurs des villes, confrontant ceux-ci à l'incertitude et à la fragilité du monde actuel. En 2012-2013, il est en résidence au garage photographie à Marseille où il entame un travail sur la notion de Sud ; désormais moins soucieux de situer certaines de ses images, de les identifier à une ville ou à un pays, il se laisse porter par le vagabondage, voyage erratique autour de la Méditerranée.
Lauréat de la Villa Médicis hors les murs, Didier Ben Loulou a obtenu une bourse du Fiacre (Fonds d’Art contemporain) puis a été récompensé par la European Association for Jewish Culture, Visual Arts Grant, Paris/Londres. En 2007, un fonds a été ouvert à l’Imec où se trouve désormais l’ensemble de ses archives.
Article de Pascal Terme sur l'exposition "Le Caire - Jérusalem"
Articles de Fabien Ribery sur le travail de Didier Ben Loulou
Vidéo : Didier Ben Loulou nous parle de la série photographique "Jérusalem 1991 - 2006"
Interview de Didier Ben Loulou sur RCJ le 14 Novembre 2016